Entrer dans la Maison des Mues n’est pas facile.
On ne retourne pas aisément d’où l’on croit venir. Même dans l’habitacle d’un texte quasiment onirique, les mots doivent se chercher, bribe après bribe, en des brèches longtemps suturées. Des façons de dire en découlent qui semblent vouloir enchâsser en beauté et respect , l’histoire intime de la voix et transformer les constats lucides en chant sonore harmonieux. C’est donc l’audition qui est requise pour lire ce livre à paliers.
Comme on descendrait en profondeur, à son tour, dans une eau inconnue. Les seuils de la perception y sont sans cesse franchis en apnée, entre le dehors et le dedans, entre l’ombre probable de l’altérité et la présence fluctuante de soi miniaturisé.e. Genèse d’une germination ordinaire et fantastique. Prémonition d’une double présence où se joue l’avenir en trois dimensions. La Maison des Mues est le contenant des métamorphoses d’une personne qui se pense à rebours et part à la rencontre d’une gémellité engloutie. En faire l’expérience en lisant à voix haute et tomber dans le vif du sujet, dans la couleur originelle, se laisser éblouir dans l’obscurité des sensations et bercer par les eaux primitives. Découvrir une vérité aux formes fluctuantes, rechercher celle qui rejoint la part commune d’une certitude amniotique. Ceci n’est pas un récit, ni un aveu, ni une parodie de circonstances. On peut peut-être parler de « reconstitution » que la narratrice assume et enrichit par des considérations métaphoriques et historiques. Le ton est pétri de sollicitude et d’empathie. L’écriture s’observe à chaque paragraphe comme un pressoir à fulgurances, non pour impressionner, mais pour graver quelque chose de définitif dans la mouture de l’image. On pourrait parler de photographie de famille, ou plutôt d’échographie tardive à consonance explicative. Il y a eu ceci et puis cela. En prendre acte. Bonifier la version par des explorations nouvelles. Renverser le temps comme on retourne un gant pour voir à l’intérieur les veines fines constrictives du tissu. Quatre moments dans ce livre, qui s’articulent autour d’une nomination, celle d’un personnage appelé « la placenta » qui devient enfin « la petite morte ». D’abord indifférenciée, car informe, puis de plus en plus distinguée et convoquée la silhouette devient familière et inquiétante, aimable et refoulée. « L’histoire est trop charnelle, l’histoire est dérangeante » nous répète-t-on, au début, il faut l’investiguer, lui donner des bases anatomiques, valider son avènement, justifier l’émoi qu’elle provoque à distance dans le temps. L’énonciation, la nomination sont essentielles au propos, il faut découdre et recoudre les peaux successives de la compréhension, au contact du souvenir en grande partie inconscient. Rien ne peut revenir sans addition et reddition. Reconnaissance factuelle et symbolisation résiduelle. L’écriture comme outil analytique autocentré et perspicace. La beauté du « chant » tient aussi à cet effort de persévérance. A ce remuement et ce remaniement d’une langue du corps qui triture la conscience et l’habille d’élégance sans impudeur. La folie n’est pas absente du procédé, mais elle est jugulée par cette volonté d’accueil du mouvement d’excavation, qui ressemble au bout du compte à une expulsion retenue par des mains expertes. Une renaissance sublimée. Un dépassement de l’angoisse et une reconnaissance du traumatisme jamais scarifié sur la rétine du lecteur ou lectrice. Un ménagement subtil. Une prévenance douce et délicate. « Bientôt nous irons comme seule » conclue la narratrice. Cette conviction sert de viatique pour la séparation libératrice que la nostalgie accompagne sans pathos définitif. L’ouverture est salvatrice. Le texte nouveau-né arrive à terme. Il est complet. Il est partageable. *
M.T PEYRIN 18/03/23
Ce livre a été écrit par Catherine SERRE
et édité par L'Arbre à paroles en 2023
https://www.maisondelapoesie.com/editions/
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